Reconnaissance faciale : et si notre visage devenait une Big Data ?
La biométrie, au premier rang de laquelle figure la reconnaissance faciale, fascine autant qu’elle interroge. Secteur en pleine expansion aux applications illimitées, cette nouvelle technologie ne cesse de révolutionner notre quotidien. Mais ces techniques n’ont-elles vraiment aucune conséquence sur nos droits et libertés fondamentales ? On décrypte pour vous les avantages et les inconvénients de cette tendance qui n’en est encore qu’à ses balbutiements.
Qu’est-ce que la biométrie et la reconnaissance faciale ?
Née dans les années 70, la biométrie est en réalité « la mesure du vivant » et peut revêtir différentes formes.
Définition de la biométrie
On a coutume de la définir comme l’étude de l’ensemble des données reconnaissables, vérifiables, uniques et spécifiques à une personne donnée. Et ceci, dans le but de permettre son identification et/ou son authentification. On distingue la biométrie :
- morphologique : elle se concentre sur les traits physiques particuliers. (empreintes digitales, scan de l’iris, numérisation des veines de la paume, reconnaissance faciale) ;
- comportementale : elle analyse les comportements d’un individu. (intonations de la voix, manière de signer un document, démarche) ;
- biologique : elle se penche sur les traces biologiques d’une personne. (ADN, sang, salive ou urine)
La reconnaissance faciale, une application biométrique
Elle s’appuie sur les spécificités biométriques de chaque visage. Distance entre les yeux, forme de l’arête du nez, commissure des lèvres, morphologie des oreilles ou du menton. En effet, les systèmes automatisés de reconnaissance faciale ont la capacité d’analyser plus de 80 points nodaux en quelques secondes à peine pour identifier ou vérifier l’identité d’un individu, y compris au milieu d’une foule. Selon le NIST (Institut national des normes et de la technologie américain), la précision des logiciels de reconnaissance faciale a été multipliée par 50 en l’espace de 6 ans seulement. Si bien qu’aujourd’hui, le taux d’échec moyen est de 0,08% sur une base de 26,6 millions de visages scrutés.
Quelles sont les applications de la reconnaissance faciale ?
On estime que ce marché mondial devrait atteindre les 7 milliards de dollars d’ici 2024. Un chiffre qui témoigne à lui seul du potentiel de ces nouvelles technologies qui favorisent la sécurité des biens et des personnes et facilitent un certain nombre d’actes de la vie quotidienne.
La sécurité
Outil privilégié des forces de police, la reconnaissance faciale permet avant toute chose de détecter des criminels ou des terroristes parmi les spectateurs de grandes manifestations. Carnaval de Nice, Roland Garros, Aéroports de Paris : autant de lieux qui testent les contrôles d’identité via la reconnaissance faciale. À terme, cette technologie pourrait être utilisée pour délivrer des documents d’identité, retrouver des personnes disparues ou même contrôler les voyageurs aux frontières.
La santé
Encore peu présente dans ce secteur d’activité, la reconnaissance faciale pourrait grandement faciliter la vie des patients. Certains établissements de santé expérimentent des applications permettant d’accéder aux dossiers de leurs patients sur la base de l’analyse biométrique de leur visage, de suivre la prise de consommation de médicaments ou de détecter des maladies génétiques. Un gain de temps inestimable !
Le commerce
La reconnaissance faciale s’inscrit aujourd’hui dans des opérations marketing destinées à séduire les plus jeunes. Comme ces grandes enseignes de cosmétiques qui proposent de tester virtuellement un maquillage à partir du scan de votre visage. Ou ces publicités ciblées qui s’affichent sur Picadilly Circus en fonction des individus qui passent. Une pratique qui pourrait largement se généraliser dans le but d’améliorer l’expérience client. On peut très bien imaginer que ce système pourrait se substituer à la carte bleue ou aux clés de voiture par exemple.
Quid de la protection des données
Les techniques biométriques en général et la reconnaissance faciale en particulier soulèvent des enjeux éthiques et sociétaux.
Pourquoi les données biométriques sont-elles des données sensibles ?
Intimement liées par nature à la personne à laquelle elles se réfèrent, les données biométriques ne sont pas choisies par la personne. C’est en cela qu’on considère ces données comme sensibles, dans la mesure où aucun d’entre nous n’est en mesure de les modifier ni de les remplacer. Ce sont des données figées qui nécessitent d’être stockées dans des conditions optimum de cybersécurité.
Quels sont les risques d’une utilisation généralisée des techniques biométriques ?
Toute la problématique des données biométriques tient dans leur potentiel liberticide. Leur utilisation massive pourrait rapidement contrevenir aux libertés individuelles. Et notamment à la liberté d’aller et venir, de réunion, de manifestation, au principe d’égalité et de non-discrimination ou au droit à l’anonymat. Mais ce n’est pas là le seul risque engendré par l’utilisation des données biométriques. Même si la marge d’erreur de reconnaissance faciale est de plus en plus faible, elle n’est pas nulle pour autant. Et le risque d’impliquer des personnes dans des crimes qu’elles n’ont pas commis existe.
Quel est l’état de la législation ?
En Europe, l’utilisation des données numériques est régie par le RGPD (Directive sur la protection des données en date du 27/04/2016). Toutefois, inquiet de tendre vers une société de surveillance, le Sénat vient de rendre un rapport en date du 10/05/2022 contenant une trentaine de propositions pour contrôler l’usage de la reconnaissance faciale. Il évoque la nécessité de légiférer avant d’être dépassé par les développements à venir et de fixer les lignes rouges de l’utilisation de cette nouvelle technologie à travers trois grands principes :
- le principe de subsidiarité : l’utilisation doit être une nécessité absolue ;
- le principe de priorité : le contrôle humain doit être systématique. En effet, la reconnaissance faciale ne doit être qu’une aide à la décision ;
- le principe de transparence : la reconnaissance faciale ne doit jamais se faire à l’insu de la personne contrôlée.
Et nos enfants dans tout ça ?
Accoutumés aux systèmes de reconnaissance faciale pour déverrouiller leurs téléphones portables, nos adolescents ont-ils conscience de la portée de la biométrie ?
Vers un usage généralisé de la reconnaissance faciale ?
Dans la mesure où elle permet d’identifier et d’authentifier un utilisateur, de nombreux acteurs du digital plaident en faveur d’une généralisation de celle-ci pour contrôler l’accès aux réseaux sociaux, aux sites pornographiques ou aux jeux d’argent en ligne. En Chine, le géant local du jeu vidéo mobile Tencent contrôle l’âge de ses utilisateurs via la reconnaissance faciale pour limiter leur temps de jeu ou empêcher l’accès à certains horaires.
Quels sont les risques d’une utilisation généralisée des techniques biométriques ?
Tant que la collecte des données biométriques n’est pas encadrée par la loi, le visage de votre adolescent devient une Big Data. Ainsi, en s’exposant sur les réseaux sociaux, ils doivent prendre conscience qu’ils peuvent être identifiés par un système de reconnaissance faciale. En Russie, un jeune photographe a mené une expérience édifiante dans le métro de Saint-Pétersbourg. Tirant le portrait au hasard à des inconnus, il a ainsi pu en identifier 60 à 70%. Et ceci, grâce à une application de reconnaissance faciale et à collecter de nombreuses données personnelles.
L’essentiel
- La biométrie englobe toutes les techniques de mesures du vivant.
- Les systèmes automatisés de reconnaissance faciale affichent des taux d’échec démesurément bas.
- Les données biométriques sont tellement sensibles qu’elles nécessitent une protection inscrite dans la loi.
- Les adolescents utilisent au quotidien les techniques de reconnaissance faciale.
- La reconnaissance faciale fait de notre visage une Big Data. Par conséquence, notre visage peut être reliée à de nombreuses autres données personnelles.
Pour aller plus loin
La plateforme de streaming Netflix propose une enquête « Coded Bias : Algorithmes et discrimination » intéressante menée par Joy Buolamwini, chercheuse au MIT Media Lab. Ce documentaire s’attache à lever le voile sur les biais technologiques qui perpétuent les discriminations au sein des algorithmes. Et notamment au sujet de la couleur de peau. Un docu à regarder avec vos ados pour vous interroger ensemble sur la neutralité apparente des algorithmes.